S’il y a une chose qui se pratique partout dans le monde et qui peut se faire de milliers de façons différentes, c’est bien l’agriculture. Il existe une multitude de modèles agricoles, mais au final, tous les producteurs ont le même désir : nourrir ! Et c’est exactement cette mission que Victorine, la mère de Paterne Mirindi, accomplissait chaque jour dans son champ, quelque part dans un village du Congo.
Aujourd’hui âgé dans la cinquantaine, Paterne se souvient encore des moments où, après l’école, il rejoignait sa mère dans les champs, avec ses dix frères et soeurs.
« Mon père est décédé quand j’avais 10 ans. C’est ma mère qui m’a appris à manipuler la terre. Je me souviens qu’en revenant de l’école, on la retrouvait au champ et on s’occupait de petits travaux. C’est ce qui m’a motivé à faire des études en développement rural. »
De la guerre au Congo jusqu’au Québec, un parcours du combattant
En 2001, la guerre civile congolaise fait rage, ce qui force l’universitaire spécialisé en ruralité à fuir vers l’Ouganda. Deux ans plus tard, il est accueilli au Canada en tant que réfugié politique, accompagné de sa femme et de leur bébé de deux mois. Et c’est en pleine nuit, en autobus, que la famille Mirindi débarque dans une ville jusqu’alors inconnue, Trois-Rivières.
Après avoir travaillé dans les champs de fraises et de concombres avec sa femme, Paterne retourne aux études et complète une maitrise sur la politique nationale de la ruralité du Québec. Comme rien n’arrive pour rien, son sujet de maîtrise devient le point de départ de la fondation du Groupement volontaire pour le développement rural nord-sud (GVDRD Nord-Sud). En 2013, au sein du groupement, il lance un projet agricole collectif et de promotion interculturelle. La mission : faire la promotion des légumes tropicaux et surtout les cultiver localement. Comme ce sont des légumes méconnus de la communauté québécoise, le projet mise aussi sur leur introduction dans les cuisines de ceux qui ne les connaissent pas.
Un modèle de production et de distribution unique
Mais avant toute chose, Paterne cherche un endroit où réaliser son projet. Il cogne notamment à la porte de Pierre Ricard, des Jardins Ricard à Louiseville, où il loue une partie de la terre et bénéficie de service en machinerie agricole. Une étroite collaboration s’est solidifiée entre Paterne et M. Ricard : ils ont créé avec le temps des liens solides qui bénéficient aux deux entreprises. Paterne n’est pas seul aux commandes de l’organisme. Le directeur général est soutenu par un conseil d’administration de sept administrateurs, trois employés et plus d’une quinzaine de bénévoles engagés. Le modèle d’affaires est visiblement signe de succès : depuis dix ans, la production augmente. L’an dernier, des tonnes de légumes ont été récoltés, dont trois tonnes d’aubergines seulement ! La majorité des légumes se vendent dans des points de chute situés à Trois-Rivières, Joliette, Repentigny, Drummondville, Montréal et Québec. Souvent les légumes prennent la route vers Gatineau et Ottawa. Pour les consommateurs locaux, des journées d’autocueillette sont organisées. Pendant le Festival de la galette de sarrasin, Paterne anime des kiosques pour faire connaître son entreprise agricole et ses produits. Enfin, pour éviter le gaspillage, il collabore avec Cultive le partage qui organise des activités de glanage.
Cultiver des légumes tropicaux au Québec
Pas moins de 13 variétés de légumes sont cultivées chaque année. Trois variétés d’amarantes, de l’oseille verte et rouge, des feuilles de la patate douce, de courge, de haricots et de maïs, quatorze variétés d’aubergines, des épinards africains, trois variétés de piments forts, trois variétés de morelles et du cléome. « 90 % de nos légumes sont des antioxydants avec des valeurs nutritives exceptionnelles. Nous organisons des journées de dégustation et des ateliers pour montrer comment les préparer, parce que chacun se cuisine différemment. » Paterne ne manque pas d’humour lorsqu’il s’agit de convaincre les plus sceptiques :
« Si nous mangeons nos légumes, vous pouvez les manger ! On les mange depuis 2013 et on n’est pas morts de ça ! »
Un avenir prometteur pour les légumes tropicaux
En 2024, le projet agricole du GVDRD Nord-Sud a reçu une aide financière de près de 60 000 $ pour soutenir son développement. Ce financement permet l’acquisition d’équipements essentiels pour l’irrigation, la préparation des sols, l’emballage et la congélation des légumes. Grâce à cette initiative, l’organisme pourra non seulement maximiser ses récoltes, mais aussi assurer une meilleure conservation des légumes tropicaux tout au long de l’année.
Faire découvrir et cultiver autrement
L’histoire de Paterne Mirindi est une preuve vivante que l’agriculture peut prendre mille formes. Ce réfugié politique débarqué au Québec sans connaître son avenir a su, grâce à sa vision et à son partenariat avec les Jardins Ricard, bâtir un projet agricole unique. Il contribue non seulement à diversifier l’offre alimentaire québécoise, mais aussi à favoriser les échanges interculturels et à valoriser un patrimoine alimentaire souvent méconnu.
Et si, demain, ces légumes tropicaux faisaient partie du patrimoine culinaire québécois ? C’est le défi que Paterne s’est donné et qu’il poursuit avec passion.